Lucie Éditions  http://www.lucie-editions.com
ISBN : 978-2-35371-017-1 - Décembre 2008 - SACD

La Dame-d'onze-heures 
Fleur lève-tard et poème advenu en garrigue, écrit pour le site du Pont du Gard
 

EXTRAITS

○○○ Il attend.

Dans une sorte de nudité                                                                                          
acteur sans rôle ni accessoires

comme un paysage attend le promeneur pour commencer d’être
un bord de mer
un alpage
ou une garrigue.

L’existence ne tient qu’à un regard.
A la gouge du mot au fond de l’œil. Il faudra qu’il s’apprenne.

Il attend
l’autre part
enfouie là où elle l’emmène.

Il attend.
Dans le zénith.
La chaleur perpendiculaire.
L’indifférence d’une mouche épisodique, hasardée dans la fournaise entre deux blaquières.
Par endroit, sur le plat d’un rocher, les cocardes de lichens tamponnées par une postière fantasque aux cheveux de mistral.
Les touffes de thym griffues, sur son pantalon, s’il faisait un pas.
Le bosquet de genévrier derrière lequel il se réfugiera quand il serait chargé par un sanglier (deux lettres suffisent à sceller un destin).
Le poivre d’un bouquet de sarriette au pied d’un clapas.
La brillance triste des feuilles de chêne vert caparaçonnées pour l’arène solaire.
Le fanal rouge d’une fraise d’arbousier abandonnée au bout d’une branche.

Il se tait.

Est-ce se taire que sa parole immobile ?
De la vague et du ressac, qui fait quoi ?

Il est une porte qui ouvrirait sur une maison vide, s’il y avait une maison.
Dans l’énorme potentiel du silence.
Est-ce le monde qui lui parle ?
Du mutisme où il est contenu jusqu’à présent, il tire une infinie réserve de paroles.
A tout instant, sa langue érectile pourrait saisir l’événement au vol. Et son nom.
Lézard à la langueur trompeuse.
Simplement à l’affût.

A ce moment, peut-être est-il un lézard ?
 

...Il a sept ans Et cet âge est une clairière encerclée de forêt Sa fragilité est assiégée par des peurs lancinantes Une brisure guette chaque mouvement des os Le préoccupe l’incroyable finesse de la peau tendue sur la clavicule des reines que le frôlement d’une canine pourrait déchirer Une implosion mauve dilate ses narines Il est pris par une conscience aiguë du verso de la chair Confondu à la digue dérisoire de l’épiderme Il tend la main vers le carmin des fruits oblongs qui parsèment l’épine blanche du matin et qui sont déjà des taches comme en été l’encre obscure d’une mûre sur le pan de sa chemise signant d’un geste indélébile la transgression des lisières dont il faudra répondre devant le Cadastre en costume noir ainsi que du contour des corps outrepassé par l’extravagance de l’aquarelle la vraie place du sang est-elle de l’autre côté du trait Il a pour compagnon un rouge-gorge qui dodeline son jabot gonflé de vermeil au bord de se répandre sur la neige Le champ de bataille astique sa cuirasse ajuste le plumet de son heaume et finit par tirer son épée Rien ne se montre simplement beau Tout se prépare au viol


Épine Il a sept ans La belle au bois dormant se pique avec le fuseau dans un bruit de page qu’on tourne Mais avant qu’elle se pique est-elle déjà la belle au bois dormant Se peut-il qu’on lui évite l’accident et qu’elle ne dorme pas encore La malédiction est contenue dans le bruit de la page qu’on tourne L’histoire invente la fée La fée manipule le fuseau Le fuseau blesse la belle Lui dont l’œil fait perler un rubis sur la pulpe blanche du doigt et le papier du livre Déjà la forêt de ronces autour de son sommeil de faïence éternel Premières images de temps suspendu Ne pas comprendre le panique La nuit


Est-ce le prix d’un baiser Un tribut au droit de vivre
 

Épine Quelle est cette nouvelle alliance qui réclame la gorge de l’agneau sur l’autel Pour quel chorégraphe la danse de la poule sans tête qui saupoudre de rouge la lumière du jardin On le fait s’agenouiller au pied d’hommes nus cloués aux carrefours érigés sur le moindre monticule étendards d’innocence offerts en allégeance à leur bourreau Il court aux quatre coins de son enfance Il n’aura jamais le temps de tous les sauver avant de devenir grand Mais pour rassasier le vampire un seul suffit n’est-ce pas Il craint son propre sacrifice Vivre sans le sang versé Est-ce possible


Épine Dans le livre d’histoire il croise les devins qui lisent dans les viscères et des légionnaires qui trouvent dans le buisson de paliure de quoi tresser une couronne pour les crucifiés Il veut fermer le livre Trop tard il a vu


○○○ Quelque chose goutte
      dans la nappe phréatiqe du songe
      qui s'étend