Édition l'Albatros 2012 - Spectacle - droits SACD

EXTRAITS


○○○ Suivre le fleuve à rebours
vers le point sans affluence
jusqu'à ce qu'aucune eau
ne se jette dans l'eau

Loin de la putréfaction solaire
la femme porte les eaux
-avant d’avoir coulé
sont-elles déjà des larmes ?

Dans le silence des puits
l’infinie réserve
cambrée vers le débord de lumière

Est présent
ce qui se préserve encore
○○○

Je pisse le cycle de l’eau par l’urètre C’est dur d’être  un tuyau traversé par des fluides incessants Je sens  l’incon-science de l’eau qui passe par l’urètre c’est dur d’être  çà  qui boit le plaisir d’uriner le corps cadenassé par le flot d’une roue libre de moi qui ne peux vider qu’assuré d’emplir pisser  qu’assuré   d’abord de boire l’image du cercle jamais tari du cerveau qui ruisselle Sous couvert de la peau le rhizome des canaux dans une extravagante efflorescence de salades et de choux hydrographies à peine étayées par un semblant de cellulose Troglodyte de moi-même -Non ? J’habite au dehors ?- Pensée en quête d’ossature adonnée aux fontaines aux rapides et autres insomnies Osé enfin mon squelette disparate dressé de son propre matériau multiplié en rideaux dégueulé par des gorgones sous-marines vapeurs de loco steamers flegme sueur des statues dans les parcs Sous couvert de la peau Je suis la citerne où je suis prisonnier de la citerne où l’eau monte mais s’écoule en permanence me laissant dans l’incertitude infinie d’être noyé ou asséché

Charpente illusoire des liqueurs métalliques
 
Ma main est ma main.
Mon ventre mon ventre.
Mais cette eau dont sont faits mon ventre et ma main ?
On me laissera pour canal.
De ma retenue, la bonde lâchée emportera le sentiment du fleuve.

○○○

Suivre le fleuve à rebours
vers le point sans affluence
jusqu'à ce qu'aucune eau
ne se jette dans l'eau

Loin de la putréfaction solaire
la femme porte les eaux
-avant d’avoir coulé
sont-elles déjà des larmes ?

Dans le silence des puits
l’infinie réserve
cambrée vers le débord de lumière

Est présent
ce qui se préserve encore
○○○

Parole par l’eau prend corps
au verso des peaux caresse
surgie dans l’air bouffée d’automne déclic
infime du navire apparu de l’ombre
L’horizon ogre
régurgite les calligraphies intimes

Je pleure sur tout cela
ivre de salive noire
sous la fellation vorace du papier
Fata Morgana remontée de l’eau pure à la bouche
des pêcheurs de perle que nous étions
○○○

Flèches des douches lymphe des marécages limonade des océans semence des lagunes lait des nymphes Lorélou larmes lave des langues dans les  puits liqueur lucernaire au fond des fosses à l’instant où la méduse allume les lunes lamparos errant dans la luxuriance du vide et la glossolalie des pseudonymes la carte d’identité de l’apparence n’a ni dessus ni dessous L’eau est une idée qui me désenvahit J’y plonge vêtu de mensongesJe la dissèque avec un bistouri d’images Dans mon ventre fermé son ventre ouvert absence éclatante dans la vasque répétée des paumes tendues.

Nous mourrons pour n’avoir pas voulu changer de forme !
○○○

La percolation aléatoire inquiète la croyance rassurante des débuts et des fins
Dieu est notre impuissance à penser l’amont des sources !
○○○

J’orpaille dans le fond des marmites de géants
l’étoffe des remous, les tourbillons de Loire
et l’œil bleu des torrents assoupis dans les gourds…

Non pas que je n’aie pas de consistance
-mes jambes me maintiennent vertical et ma cage thoracique m’empêche de m’époumoner-
mais, c’est plutôt que j’osmose, traversé par le monde que je traverse, je m’épuise, plein de l’épuisement d’une autre, je suis la résurgence d’Alphée, une absence qui s’insurge de l’autre côté de soi.

Suis-je bien le même
qu’on voit réapparaître
avec la marque profonde du sel ?

Le livre qui passe sous la mer, la fonde.

Singulièrement
ne se mélange pas
cette eau
avec l’eau
○○○

Pour rejoindre la mer qui s’est entièrement naviguée :
Faire la somme des ruisseaux,
moins leurs noms !

Se trancher les deux mains.
Laisser s’écouler le temps dans un récipient sans bords, puis retrouver deux poignets qui leur vont et prendre le courant à bras le corps, pour le lancer contre l’assaillant.

Entendre le gamin, sur le quai, dire :
« Pourquoi les bateaux ne bougent pas ? »
L’entendre ! Sentir avec lui, l’impossibilité du mot sans sa danse.

Correspondre avec des œufs de lumps,
dans la nuit des abysses.

Monter à bord d’un voilier sans voilier, réduit au vent qui le pousse, pur mouvement des sens vers le lointain,
sans désir de naufrage ni atteinte à l’intégrité corporelle des flots, pour une traversée dont on ne saura rien !

Construire une usine de désalinisation des larmes, et s’apercevoir de ce phénomène étrange : sans sel, les larmes n’apaisaient plus.
Le sel est l’arme lacrymale.
Abandonner aussi la déstalinisation des larmes : quand nous y renonçons, leur tyrannie nous manque. La peine est assoiffée.

Penser : la mer s’est retirée,
qu’est-ce qu’une langue de terre ?

Dans le bazar interlope
des anémones et des algues
surprendre le ballet
d’un hippocampe
Deux pas en avant
un pas sur le côté
narguent les prédateurs
de l’échiquier !

Se faire le comptable impassible
de l’érotisme des rochers
dans le détroit des gorges.

Chercher à rencontrer le survivant d’une civilisation perdue, un vieillard poulpe aux tentacules si longs qu’ils plongent dans le passé de tous les puits, quelque part au Pays du Milieu.

Agrandir la photo -ou le récit- d’une vague
et lui donner une dimension supérieure à l’image de l’océan.
Dans la représentation, accéder à la réalité, à force de manipuler le temps et l’espace.

Ramener indéfiniment le piano à queue des marées basses vers le haut des plages.

Avoir un cœur très lent
qui bat deux fois par jour
une patience étale
entre deux affolements.
○○○

OÙ EST L’EAU SANS LES RIVES SANS L’EAU OÙ SONT LES RIVES OÙ EST LE LIEU DE L’ENTRE DEUX ÉCHOUAGES ?
○○○

Dès qu’une ligne est distinguée d’elle-même par le tracé d’une autre ligne parallèle,
un espace infini les sépare.
En face invente la nostalgie
et L’INUTILITÉ DES BATEAUX !

Au large, la bordure est illusoire
et le balancement des mouchoirs
C’est pourquoi on n’a jamais vu d’océan
porter la plainte d’avoir été traversé

Demeure la mémoire des rives
sentinelles endormies
dans le paysage scarifié

Sur les plages diffuses, le tuilage incessant
où fourmille la contrebande des formes
et les reliques pauvres de la répétition

Ô, m’endormir sur un échouage
roulé dans un duvet d’algues
sur la ligne blanche du varech parsemé de laine !
N’être ni d’un bord ni de l’autre
messager limicole des matières premières !

Demeurent la mémoire des rives
le couchant des chaloupes
sur le limon patient du delta
le tracé tremblé des fleuves
sur nos cartes
corps de salive
matière sèche
du texte
○○○