LES GENS SE PLANTENT DEVANT LE PAYSAGE (en recherche d'éditeur)

Poésie

...Où le regard sur le monde occulte le monde.

°

à Israël Eliraz,

"Je suis la résurgence d’Alphée
une absence qui s’insurge de l’autre côté de soi
Suis-je bien le même
-qu’on voit réapparaître avec la marque profonde du sel ?
Le livre qui passe sous la mer, la fonde
Demeure la traversée sans bornes, intime conviction"
  FP

EXTRAITS

Les gens se plantent devant le paysage.
Ça ne les gêne pas.
C’est comme ça qu’ils voient les choses.
La représentation est pour eux.

Pour une fois, ils sont au premier rang
leurs yeux dans les yeux de ce qui se montre
sans soupçon encore de ce qui se cache
et qui n’a rien à voir
et se révèlera
dans l’étirement de l’œil
et de la jambe.

Ils se plantent devant le paysage.

Ce faisant, ils le cachent.

Et ils ne voient pas qu’ils le cachent
quand ils cachent ce qu’ils voient
aux autres gens
qui demandent à voir ce qu’on leur cache.

Dans la grande pelote des imaginaires
ce qu’on cache et ce qu’on montre
se disputent le devant de la scène
et s’avèrent être le masque l’un de l’autre.

oe ili sière
oeillères
villusion

Le vent fait frissonner la frange des parasols
Leurs jupes à volants soulevées par accès
sur le marbre des tables

Passe une déesse blonde
un renard argenté au revers de l’épaule

Le juge dégrafe sa robe noire
Aucun verdict n’est prononcé

Femme est fabrique d’ombre

Toute amarre doit se chercher
dans la poussière de ses pieds

Et les gens qui s’étaient plantés pour voir
laissent bientôt la place à d’autres gens
pour qu’ils aient vu de leurs yeux vu
le paysage qu’à leur tour ils sont seuls à voir
et qu’ils façonnent comme ils l’entendent
dont ils font le récit unique
aux autres gens pris à témoin de leur vision
comme on partage l’indescriptible
- la torture, ou le paradis.

L’un s’écarte de la vue
pour que l’autre voie ce qu’il a vu.

Puis l’autre s’efface à son tour
et avec lui le paysage qu’il avait vu
et voulait faire voir.

Partout l’il y a impose son désastre
lieu hors le temps
somme d’éphémère

Il advient à la jointure entre ce qui n’existe pas et ce qui n’existe plus.
(Ce qui n’existe pas encore supposerait qu’il va exister.
L’avènement infini reste une croyance,
évoquée à l’aune d’une existence finie)

A son tour, l’événement du regard crée son territoire.
Il est la compréhension du paysage
dans laquelle il va s’enfoncer.

Plus tard, il y aura ce basculement subtil de la perception à l’attention.

La vie apparait violemment

Mamelon désireux
jailli au soleil
comme une Alpe

Elle saute aux yeux
sans crier gare

Tu jalouses le regard des girafes tout en haut des cous
la lenteur de leurs têtes dans les étoiles

Demeure le merveilleux obstacle du langage
(Pourtant, la parole ne te manquera plus
toi qui lui manquera infiniment
-Ça aussi arrivera tout d’un coup)

Toute apparition est fulgurante
Mais comment lui en vouloir ?
Il faut bien que les choses commencent
que le pli de ta robe passe l’angle du mur
annonçant ta jambe !

Si les ombres prévenaient de leur visite, serions-nous au rendez-vous ?

On voudrait que, dans la coulisse, ça ait mariné depuis longtemps
et ne pas s’être assoupi, absent aux préparatifs

Le récit de la spontanéité n’est pas la spontanéité

L’attente est gourde
le corps obèse et les paupières grippées
la présence à venir

Il faudra éveiller le temps

Ce que retient cet anneau dans le coeur
est-ce le désir de bondir ?

Tout est devant ce qui est derrière.
-L’évidence est un évidement des yeux-

Derrière est un pressentiment
une échancrure à venir
dans la toile de fond.

L’horizon déçoit
quand on découvre ce qu’il cachait.

Plus encore
en découvrant ce qu’il cachait
on découvre qu’il cachait.

La foi en cette promesse non tenue est le moteur du voyage.

Il y aura derrière l’horizon suivant.

Les limites successives démultiplient la progression
ravivant sans cesse l’illusion déçue de l’unique
table éternellement dressée d’un repas de reliefs.

On croit accéder au jardin
on n’en voit que l’enclos.
L’Eden est une émancipation des lignes.

Tu te penches par la fenêtre pour savoir qui t’a appelé
mais c’est autre chose qui se disait

On ne sait quoi

Qui es-tu quand personne ne t’appelle ?

-Tu t’appelles, non ?

C’est un cercle vital

-Tu t’appelles, oui ?
Oui, tu t’appelles !
Quel est ton nom ?
Comment t’appelles-tu ?

-Toujours ! Je m’appelle toujours !
J’accours, comme un chien
J’en appelle à moi-même
L’appel me renvoie
A me vomir

Un soir, tu tournes le coin de la rue et tu ne te rappelles plus
Tu attends, sous un porche, comme une prostituée, manière de faire venir le matin
Pour passer le temps, tu grimpes dans les arbres, mais par le dedans
Tu es la sève d’un oubli
Au moins, tu sers à quelque chose

Ce frisson partout
ça n’est pas le vent
c’est le plaisir des feuilles

A force, le temps nous macule
comme des vieux matelas

Ce qui nous arrive
Comment ça s’appelle déjà ?

Parmi l’étendue, le Bodhisattva est invisible.
Sans souci de sommet et de vallée.
Il déplie les ravins.

Le rossignol sur la fenêtre
interrompt un discours qui a prévu de s’interrompre si un rossignol

La difficulté est de dompter le hasard
pendant que la vie donne le change

Si je ne m’arrête jamais
derrière moi, de quel départ le chemin témoigne t-il ?

Le retour de ce qui a disparu me répète
d’un éternel papier peint

Le bonheur est un oubli

Traces de pas sous la neige
voilà le récit

L’ignorance est une impatience.
Elle érode les bosses
qui nourrissaient les creux
où dormaient en vrac, dans des cohérences secrètes, les collections, nuanciers, palettes, déclinaisons infinies de l’apparence.

Etirée sous la lumière, l’eau souterraine est lapée par le soleil.

Oubliés les mots eux-mêmes !
Non encore apparus !
Convexe, concave, arrière-plan, que l’élan doublait de curiosité.
Sans motif les marche, pérégrination, voyage !

Derrière l’arbre, l’amour embusqué.


Neuf corbeaux
en formation imprécise
sur le gris du ciel
passent
de droite à gauche

puis

Neuf corbeaux
- probablement les mêmes, en formation apparemment aléatoire -
dont deux se querellent
sur le ciel gris
passent
-repassent, si ce sont les mêmes-
de gauche à droite
comme la réponse symétrique de la première vision
- sauf la querelle de deux des corbeaux, dont je ne peux donner la position relative dans la troupe par rapport à celle observée dans la première
formation -

Je n'en tire pas pour autant la conclusion que, dans la nature, tout est symétrique sauf la querelle de deux corbeaux parmi les formations de neuf allant de droite à gauche en formation indéterminée dans le gris du ciel dont deux d'entre eux se querellent lors du deuxième passage de la formation de gauche à droite

mais j'y pense

Je ne parle pas non plus de l'augure, successivement bon ou mauvais selon la provenance des oiseaux
ni de leur couleur
ni de la combinaison de l'azimut de leur vol avec leur couleur, qui multiplierait les interprétations
Je n'en parle pas
du moins jusqu'au moment où je dis que je n'en parle pas
et où je suis contraint de dire de quoi je ne parle pas

A noter que si la route empruntée lors de la promenade évoquée avait été barrée, les neufs volatiles auraient signé leur vol en vain
Un récit n'aurait pu que les juger par contumace
se bornant, une fois de plus, à rapporter l'absence de témoin de faits improbables

A force de répéter le vide
il faudra bien que quelque chose apparaisse


o e i l l i e u

où ?


Le ciel déchire sa laine
sur le barbelé des clôtures

L'hiver tire sur la laisse glacée du paysage

L'air coupe la plainte
ourlée de blanc
des brindilles

Deux choucas basculent en ricanant
derrière la colline amorphe

Un chien mouillé hurle doucement sa résignation
contre la porte close

Une querelle ancienne finit de s'évaporer
dans la trame d'un rideau à demi décroché

Rien ne trouble les traces
que mon regard
hameçon dans la gravité

Peu d'empreintes méritent la disponibilité des neiges


Partout où leur vue se pose
ils sont encore de trop
ajoutant un corset au paysage.

Leur marche est la seule garantie du monde
sa condition : le perméable
l’absorption du face à face
la traversée du corps d’un autre.

Troquant leur point de vue contre un point de fuite
ils parcourent ainsi la planète
et leurs années
déployés comme l’air.

Parfois, une contrée meuble et accueillante les ralentit
mais leur vue est si démesurée qu’aucune terre n’est assez vaste pour l’y semer....


Quand le vent s’apaise
est-ce qu’il a retrouvé son corps égaré
ou bien a-t-il perdu sa trace ?

Repris par son mouvement
il comprendra de nouveau ce qu’il cherche

◦◦◦