Édition l'Albatros - Droits SACD

Joué par la Cie L'Albatros -jusqu'en 2015
Le fonds de textes est repris par F. Philipponnat & N. Cabarrot
- voir page : Philipponnatpolyphoné


EXTRAITS

Dans les forêts
les histoires
le papier pour les écrire
les esprits pour les habiter
et la nuit pour en rêver

Dans les histoires
le papier
les esprits pour l'écrire
la nuit pour l'habiter
et les forêts pour en rêver

Dans le papier
les esprits
la nuit pour les écrire
les forêts pour les habiter
et les histoires pour en rêver

Dans les esprits
la nuit
les forêts pour l'écrire
les histoires pour l'habiter
et le papier pour en rêver

Dans la nuit
les forêts
les histoires pour les écrire
le papier pour les habiter
et les esprits pour en rêver…



La marée monte

Le bateau de sable tremble de tous ses grains

comme à chaque fois



FEU D'ARTIFICE

Collés  cloués  vissés
les oreilles bouchées la bouche bée
collésclouésvissés
les yeux par milliers au ciel
collésclouésvissés
les pieds au milieu d'un miel
tous les yeux les pieds par milliers
collésclouésvissés au miel du ciel
le soir du

FEU d'ARTIFICE
Tous
fils
du feu
FEU d'ARTIFICE
Tous
fils de l'art
du feu
phare
du lieu
FEU d'ARTIFICE DU FEU
tous
fixent le
FEU d'ARTIFICE
Il brille
aux yeux
des filles
des fils
qui voient
et bissent
le feu d'autrefois

Tous les fils toutes les filles
puisqu'onleuraconfisqué le feu
dansent dans les escarbilles
confettisbrûlants dans les yeux
Ils peignent des galaxies
de loupiotes
Ils veulent blanchir la nuit
qui clignote
Ils plantent des saules pleureurs le long de l'ombre accrochent
leurs cris à la guirlande d'éclairs et font courir
le feu du premier jour jusqu'au soir de la fête
Ils font un
FEU D'ARTIFICE
Ils font un vœu et tissent
l'histoire sans fin
de la première étincelle
Ils sont peureux se glissent
pour voir
Ils sont heureux applaudissent
le soir
Ils ont lâché la ficelle
des étoiles filantes
sur leurs voiles si lentes
mais ce sont des friandises de lumière qu'un monstre noir dévore aussi vite qu'on les lui jette
ô la belle jaune !
ô la belle bleue !
la belle rose offerte aux yeux
mendiants
toutes disparues dans la gueule noire
de l'animal du soir
mais ce sont des bijoux volés à peine portés des bijouxbougies volés au cou de la nuit
ô la belle jaune !
ô la belle bleue !
la belle rose offerte aux cieux
gourmands
Ils domptent des langues de dragon
dragon des langues
pour rassasier l'obscurité
tenir jusqu'à l'or du matin !
Les pyrophores lancent leur gyrophares
dans le bouquet final
et ferment les paupières
à cause de la couleur
celle d'avant les couleurs
qui guette

Pas de fumée pas de fumée pas de fumée
Pas de pas de pas de pasdepasde
Pasdefupasdefupasde fumée sans feu
pasdefuméesanslefeudu pre mier jour
Pas une poussière de lumière
pas d'aujourd'hui ni d'hier
sans le gang des fusées
sur la ligne de départ
toutes blotties
au creux du

BIG BANG

Mille mèches
font crier la poudre
d'UN point
premier coup de foudre

Tout
Touta
Toutattend
Toutattendait
Toutattendaitdans
Toutattendaitdans
Toutattendaitdanscetoeuf
qui fait maintenant rouler ses billes de mots bouillants lâchées en meutes aux douze coins du monde tout neuf
Coup de baguette cosmique
Coup de comète magique
le BIG BANG
nous tangue
et déroule le grand tapis du cosmos
sous nos pieds nos mains nos ailes
éperviers dauphins gazelles
rhinocéros
le BIG BANG
lance sa vague
comme un couteau dans l'espace
sculpte les gens les choses
à coup de temps qui passe
se pose

et fait taire ses canons qui résonnent pendant treize milliards d'années

jusqu'au soir où
Collés cloués vissés
les oreilles bouchéesla bouche bée
collésclouésvissés
les yeux par milliers au ciel
collésclouésvissés
les pieds au milieu d'un miel
tous les yeux les pieds par milliers
collésclouésvissés au miel du ciel
le soir du

Tous les yeux les pieds par milliers
collésclouésvissés au miel du ciel
le soir du

au miel du ciel
le soir du
FEU d'ARTIFICE !

L'été
j'attends
pour voir les oiseaux
sur les branches d'hiver.

L'hiver
j'attends
pour cueillir leur voix
sous les feuilles d'été.

A l'automne
je me languis
du retour
des voyageurs.

Le printemps
avec sa verdure
confisque
mon rouge
et mon or.

Toujours
j'attends
le prochain tour.

Où est l'absent ?



 

J'habite dans un rond
Tout est égal
Rien de pointu
J'ai pris avec moi mon cerceau
Il y tient juste.

J'habite dans un cerceau
Tout est égal
Rien de pointu
J'y ai mis l'ombre de la pleine lune
Elle y tient juste.

J'habite dans la lune pleine
Tout est égal
Rien de pointu
J'y ai mis ma tête
Elle y tient juste.

J'habite dans ma tête
Tout est égal
Rien de pointu
J'y ai mis ma patience
Elle y tient juste.

J'habite dans ma patience
Tout est égal
Rien de pointu
J'y ai mis tout mon temps qui fait des ronds dans l'eau des jours
Il y tient juste.

J'habite dans un rond
Tout m'est égal
Rien de pointu
pour mon ventre de ballon.
Je dors dans mon rond
qui dort
comme tous les ronds.


La flaque de thé glisse vers le bord de la table
Pourquoi le monde va-t-il de travers ?



Eau.
Jeu d’eau.
Je suis de l’eau.
Je suis tant d’eau !
75% d’eau…
Je l’ai lu, lu de mes yeux lu :
je suis soixante quinze pour cent d’eau !

Je suis tant d’eau !
Tendu d’eau !
Comme une bouillotte
où je flotte.
Tendu d’eau, mais d’eau d’où ?
D’eau du ciel ou d’eau de l'oued ?
D’eau du Danube ou d’eau du Doubs ?

D’ailleurs, dodus ou pas dodus
les petits gros
ou les grands secs
on a de l’eau
jusqu’au bec !
De l’eau de mer
ou de source
de l’eau pépère
ou de course.

Si on me pressait, dans un presse-orange ou un presse-purée (électrique, pour aller plus vite), on obtiendrait trois carafes d’eau et une seule de restes :
. Les clés de la maison
. Un billet de banque tout ratatiné (qui serait comme quand on croit l’avoir
perdu et qu'il est passé à la lessive)
. Une idée noire en acier inoxydable
. Le capuchon de stylo que je mâchonnais à ce moment-là
et le nom de mon amour tatoué au creux du bras que je gardais plié.

Trois carafes d’eau
pour une de restes !
mais, c’est un exemple, ça pourrait être des gourdes.
Trois gourdes d’eau !

Je suis de l’eau !

Je l’ai lu je le dis
je l’eus dit je le dilue
Je suis de l’eau
de-ci de-là
de l’eau !

Est-ce un délit
d’être de l’eau
d’aller au lit
en pédalo ?

Depuis que je le sais, je me sens pousser des vagues.
Quand je mange du poisson, je me prends pour un bocal.
L’été, je bous d’impatience, j’ai des absences, je suis dans les nuages.
L’hiver, je reste de glace même quand on me chatouille.
Je fais des bulles et lorsque je raconte des histoires, je rougis comme un diabolo grenadine.

J’aime surtout m’étendre en buée sur les vitres, de tout mon long, comme une peau très fine entre le dedans et le dehors et que des doigts rêveurs viennent écrire des mots doux sur le verre en écartant mes gouttelettes.

Je suis de l’eau !

Je déborde d’énergie. J’ai du mal à me contenir, je ruisselle, je m’épanche, me répands.
Quand je me jette à l’eau pour faire les choses les plus folles, je suis dans mon élément.
Par prudence, je sors toujours de la baignoire avant d’enlever le bouchon.
J’écris des romans-fleuves pour les sirènes bleues des océans qui m’habitent
et des poèmes-sources pour les marins qui les parcourent.
J’appréhende la tempête et tous ces équipages échoués au fond de moi.

Je suis de l’eau !

Le soleil me voit d’un autre œil
et je supporte les bateaux
- mieux les barques que les cargos (kekelékargo ?)

Je suis de l’eau !

Les soirs d’automne, je pianote sur les tables de jardin, pour noyer mon chagrin.

Moi qui étais fidèle à mon apparence, j’épouse toutes les formes que je rencontre, en grande pompe !

Passant près d’un restaurant, voilà que je salive et mes lèvres sont comme la dune où déferle l’écume savoureuse du large.

Parfois, quand je me baigne, je me perds. Je ne sais plus où je suis.
A part la couleur du maillot, allez distinguer de l’eau de de l’eau !

En général, c’est un courant qui me dépose sur la plage. Les courants sont charitables, ou curieux, mais ils n’ont pas toujours le sens de l’orientation : ils abandonnent les gens dans un endroit inconnu, très loin de chez eux.

Un soir que j’émergeais du sable, j’ai entendu :
« Je suis tant d’Homme ! 75% de l'Homme !… je l’ai vu, vu de mes yeux bu !
Il est cousu de moi.
Je suis dans son manteau de peau.
Depuis le premier jour
il me boit, je le fais danser
il me voyage, je le transporte
il est sur mon dos, je suis dans son ventre.
Nos vies coulent l'une dans l'autre.
Six milliards d'hommes… et moi, seule au milieu de chacun !
Ils sont toujours plus nombreux.
Je suis presque à marée basse.
Pour qui d'entre eux ma dernière goutte ?»

J’étais content de rencontrer quelqu’un d’aussi mélangé que moi, mais je n’ai pas eu le temps d’engager la conversation : rappelée par une lame de fond jalouse ou un banc de poissons en retard sur l’horaire, elle s’est éclipsée dans la nuit.

Depuis, son souvenir flotte sur ma peau, comme une essence insoluble
un baume pour les jours de feu.
Je suis pris de houle au premier courant d’air.
Le moindre creux de vague me fait monter aux yeux un paquet de haute mer.
J’ai doublé ma ration de sel pour pouvoir disparaître au large sans attirer son attention.

Et vous ?
Si un assoiffé, distrait, langue pendante, passait… et vous buvait ?

On est là, les uns à côté des autres, comme une exposition d’aquariums !
Notre vie est si fragile, notre secret peut-être mal protégé ?
Une fuite serait fatale.
Un jour, si ça tombe, vous finirez dans le Niagara !

Moi, je me suis loué dans une histoire
comme flaque.
Je retiens le ciel !



La gazelle broute sa cachette
Le lion attend



Tu te souviendras, hein, tu te souviendras !

Rappelle-toi, souviens-toi, n'oublie pas
Répète, pour ne pas oublier
Répète encore, pour bien te rappeler
Répète, avant d'oublier
N'oublie pas de répéter pour bien t'en souvenir
N'oublie pas de te souvenir
Souviens-toi de ne pas oublier
Souviens-toi
Souviens-toi toujours
N'oublie jamais !

Et s'il y a trop de nœuds dans ta mémoire
il suffit d'acheter d'autres mouchoirs Répète une dernière fois !

Tu te souviendras, hein, tu te souviendras !

De la table de sept
De l'heure du rendez-vous
Du nom de tous les rois
(et des gens qui souffraient, perdus dans leurs batailles)
De la recette du clafoutis aux cerises
De ton code secret
Du poème à réciter
D'aller chercher du pain
De ta promesse
Des paroles sur la musique
De la musique sous les paroles.

Tu te souviendras, hein, tu te souviendras !

De ce qui arrive aux gens qui…
De la table de sept !
De ton premier arc-en-ciel
Du jour de la guerre où on a dit "plus jamais ça"
De ne pas ouvrir au loup quand il frappera à la porte
De ta grand-mère partie pour le grand voyage
avec ses confitures
De ce que je t'ai dit
(tu vois ce que je veux dire)
De prendre les clés de la maison
De la table de…huit !

Le papillon perdrait sa vie à se souvenir
et l'éléphant a tout le temps pour oublier.


Tu te souviendras, hein, tu te souviendras !

Rappelle-toi, souviens-toi, n'oublie pas
Répète, pour ne pas oublier
Répète encore, pour bien te rappeler
Répète avant d'oublier
N'oublie pas de répéter pour bien t'en souvenir
N'oublie pas de te souvenir
Souviens-toi de ne pas oublier
Souviens-toi
Souviens-toi toujours
N'oublie jamais !
Combien de fois faudra-t-il te le répéter ?

Et s'il y a trop de nœuds dans ta mémoire
il suffit d'acheter d'autres mouchoirs Répète une dernière fois
Plus tard, tu te souviendras !
On se souviendra qu’on disait… "plus tard"

C'est comme si je m'en souvenais déjà :
aujourd’hui est le jour où plus tard sera maintenant !

Tu te souviendras, hein, tu te souviendras !
Qui, moi ?
Tu te souviendras de moi
De toi ?
De nous
De tout.

Tous les jours, je mange des mots
je croque des explications
savoure des solutions
j'avale des histoires
dévore des noms
gobe des sons.
Le monde !

Plus je me remplis
plus je suis léger
ma mémoire est un ballon.
Ce que j'ai appris
ne peut s'effacer
plus nous savons plus nous volons !

Ça, tu ne l'oublieras pas, hein, tu n'es pas près de l'oublier.

Tu seras un éléphant
avec des ailes de papillon !




SAISONS


Les flocons volent dans tous les sens
comme des gommes au vent qu’on lance.

Le blizzard mord les lèvres blanches.
Esquimau, banquise, avalanches

Où étions-nous, blottis en creux
quand le froid inventa le feu ?

Les crêpes font des bulles dans les poêles
et des masques de carnaval.

Les steppes fuient les bombes, les balles
et les casques de caporal.
 
Les guêpes, tarentules et chacals
collent à mes basques d'animal.

Les grêlons sur nos têtes, qui toquent
peignent des trous bleus dans l'air loufoque.

Les peintures sur la peau, magiques
et la grêle des sauterelles d'Afrique

Nos couleurs tombent dans le ciel.
Un ogre a rongé leur ficelle.

Miettes du jour en pétales blancs
pour le chocolat des enfants.
 
Aucune fleur dans l'air brûlant.
Pour un peu d'eau, un mois, un an ?

Puis, le miracle d'un cactus
né de rien, bouche cousue, motus !

On voit fleurir des papillons
aux yeux des filles et des garçons.

Sous la glace, on pêche un poisson
Un éclat de nuit, un frisson.

Un bruit qui court, un geste, une feuille
un clin d'amour : tu vois, tu cueilles !

Le soleil lèche sur nos chemises
la tache rouge des cerises.

Les goyaves, les papayes, les mangues
salives étrangères des langues.

Et je récolte sur ta peau
le fruit du hasard de mes mots.

Les pierres ont soif et la rivière
flâne dans son lit blanc de lumière.

Lakshmi s'abrite sous un carton.
Au bord du Gange, c'est la mousson.

Poussière, eau, boue que balayent
Serpillière, vent, roue du soleil.

La mer signe mes billets d’absence
avec l’écume des vacances.

Ali, tout le jour, au désert
a fait danser les dromadaires.

Tchang écrit le vide, j'entends
bruisser les ailes du cerf-volant.

Grains de sable, grains de raisin
le cartable colle à la main.

Sur son corps, il a imprimé
le livre de forêt Pygmée.

Souvenirs, sculptés dans la glace,
je me baignerai dans vos traces !

Remettre un premier pull-over.
Regarder l'eau mouiller la terre.

Pas de robe, pas de pantalon
pas de mode, le temps sera long.

Une planète sans révolution ?
Sans choses qui partent et reviendront ?

Les doigts se méfient des châtaignes.
Les feuilles prennent l’air, les arbres saignent.

Les ongles cherchent quelques graines
une racine aborigène.

La vie pressée mange sa patience
mon chapeau, ta chance, nos semences.

Les cadeaux réveillent leur vitrine.
Les gâteaux surveillent leur farine.

Ô le sumo, s'il avait su
aurait pris deux tiramisu !

Sait-on où s'en vont les saisons
les sons, les savons, la raison ?


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